- Catégorie : Promesses électorales
Les grandes promesses, c’est fini
Paul Journet
La Presse
L’heure des promesses est finie, et celle du bilan n’est pas encore arrivée. Le gouvernement caquiste se trouve entre les deux. Au moment le plus périlleux de son mandat, celui de l’exécution de ses nombreuses réformes.
En santé, la nouvelle agence entre bientôt en fonction. En éducation, la réforme a été adoptée. Le projet de doubler la taille d’Hydro-Québec est aussi connu, tout comme le sont les investissements massifs de fonds publics dans la filière batterie. En transport collectif, le projet d’agence Mobilité Infra devrait bientôt être adopté. En logement, la stratégie a été rendue publique en août, sans nouveau financement. Les métiers de la construction ont aussi été décloisonnés pour accélérer les chantiers. Et les maisons des aînés ainsi que les maternelles 4 ans peinent à se construire au rythme prévu.
Si la coutume est respectée, un remaniement ministériel est à prévoir au début de l’année prochaine. Le gouvernement proposera évidemment d’autres projets d’ici 2026. Mais le plus substantiel est déjà annoncé. Le temps est venu de finir le travail.
Deux ans, c’est court. Et ce délai n’est pas le seul obstacle. Il y a aussi le pessimisme ambiant.
L’hiver dernier, après une session parlementaire pénible, le mot d’ordre à Québec était « discipline ». Finis les cafouillages comme la subvention aux Kings et les volte-face saisonnières sur le troisième lien. Ce gouvernement allait cesser d’être son pire ennemi, promettait-on.
Même si les caquistes n'ont pas eu un printemps étincelant, leur chute dans les sondages s’est au moins arrêtée.
Quand on se compare, on se console, mais on s’inquiète aussi.
Ailleurs dans le monde, l’humeur des citoyens est morose. Justin Trudeau fédère les insatisfaits contre lui, le président français Emmanuel Macron en arrache et le chancelier allemand Olaf Scholz perd aussi des appuis depuis trois ans.
En Australie, pas moins de sept premiers ministres se sont succédé depuis 2007. Aux États-Unis, lors des cinq dernières élections de mi-mandat, le président avait un taux d’approbation inférieur à 45 %, soit la pire séquence depuis les années 1950. Et au Royaume-Uni, le nouveau premier ministre Keir Starmer a perdu 45 points dans les sondages depuis juillet, comme le résume une récente analyse du Financial Times1.
Pour compliquer les choses, le gouvernement caquiste fera atterrir ses réformes en plein resserrement budgétaire. Le déficit zéro doit être atteint d’ici 2027-2028. Une cible qui a été commodément repoussée après la prochaine campagne électorale.
Même si divers groupes de pression se plaignent d’un manque d’argent, les dépenses ont bondi. Le gouvernement Legault ne pourra plus distribuer les chèques. Il devra apprendre à faire des choix. Le mot « efficacité » – au cœur du discours caquiste dans l’opposition, mais plutôt délaissé depuis 2018 – reviendra à l’avant-scène.
La renégociation des conventions collectives en éducation est terminée. On fonde beaucoup d’espoirs sur les contrats de travail avec les infirmières et les médecins – surtout les omnipraticiens.
À Québec, personne ne s’attend à une amélioration spectaculaire des services publics d’ici 2026. L’espoir est de montrer plus modestement que la situation s’améliore petit à petit.
En santé, le recours aux agences privées a été réduit de moitié cette année – ce qui équivaut en fait à un retour au niveau de 2022. Leur abolition graduelle s’annonce délicate en région. Des projets de loi à l’étude permettront d’alléger la paperasse imposée aux médecins et d’autoriser d’autres professionnels à donner des soins. L’objectif ultime demeure d’améliorer l’accès à la première ligne en misant sur les Groupes de médecine familiale. Mais dans le système actuel, le Guichet d’accès à la première ligne (GAP) demeure une bonne idée qui n’a pas rempli ses promesses.
En éducation, l’affectation des tâches s’est mieux déroulée lors de la dernière rentrée scolaire. L’ajout d’aides à la classe est aussi bienvenu. La nouvelle convention collective pourrait renverser la baisse des inscriptions dans les facultés d’enseignement – à condition, dit Bernard Drainville, de rompre avec le discours négatif sur la profession. D’ailleurs, les résultats des petits Québécois aux tests internationaux restent enviables.
Quant aux garderies, les caquistes se félicitent d’avoir ajouté 19 000 places au réseau subventionné, en plus d’avoir mis en chantier l’équivalent de 18 000 places. Reste que l’accès demeure déficient.
Même si le nombre d’enfants sur les listes d’attente a diminué de 3000 depuis l’année dernière, quelque 34 000 noms y figurent encore.
Le gouvernement Legault cherche à accumuler ces petits gains et à les publiciser. Le but : paraître compétent. Du moins, plus que les autres partis.
François Legault croit avoir une autre carte dans son jeu : le nationalisme. Pour la protection du français, là encore, l’essentiel des mesures a déjà été annoncé. En francisation, le budget a triplé depuis 2018. Mais la demande croît encore plus vite à cause de l’immigration. À un rythme annualisé, la demande au premier trimestre était deux fois plus grande que l’année précédente, indique le ministère.
Québec a réduit les allocations offertes aux étudiants. Son raisonnement : puisque près de 40 000 personnes sont sur la liste d’attente, cet incitatif n’est plus nécessaire. Peu importe, le français en sort perdant.
Plus que jamais, le premier ministre parlera d’immigration. Une tendance qui s’observe dans une multitude d’autres pays, d’ailleurs. Mais M. Legault souffre de son double discours. D’un côté, il exhorte le fédéral à réduire rapidement l’immigration. De l’autre, il diminue à peine le nombre de travailleurs temporaires sous son contrôle. Difficile d’imaginer que le gouvernement Trudeau ira plus loin que lui.
Qu’attendre de neuf alors sur le front identitaire ? La réponse pourrait venir du rapport qui sera déposé cet automne par le comité pour accroître l’autonomie du Québec. M. Legault essaie de préciser son autonomisme, cette voie mitoyenne entre la démarche référendaire décomplexée du Parti québécois, dont les détails seront annoncés avant la prochaine élection, et le fédéralisme du Parti libéral, qui aura un nouveau chef d’ici l’été.
En 2018 et en 2022, M. Legault avait dépiauté ces deux partis avec un discours axé sur le nationalisme et l’économie. Reste à voir si la prochaine fois il répétera ce grand écart, ou s’il sera plutôt écrasé dans l’étau.